Historique en cours d’écriture…
Pour les festivités du cinquantième anniversaire, le préfet des études honoraire Lucien Gailly rédigea une « plaquette »[i]. Cette dernière retraçait l’histoire de notre école et reprenait toute une série de listes de membres du personnel depuis la fondation. Bien que ce texte de 1987 contienne une mine d’informations, il avait un objectif avant tout commémoratif. Dans cette « nouvelle » histoire de l’ARC, une approche plus critique a été privilégiée[ii]. La page sera périodiquement mise à jour en fonction du dépouillement des archives conservées au sein de l’Athénée et dans les institutions publiques. Le lecteur est invité à faire part de ses remarques, commentaires, ajouts et avis à l’adresse email suivante : cokaiko@hotmail.com
La « nouvelle » histoire de l’ARC
- Aux origines de l’école : le contexte national et communal
La Constitution belge de 1831 garantit, dans son article 17, la liberté d’enseignement. L’interprétation que font de cet article les deux grandes forces politiques de l’époque, les libéraux et les catholiques, est bien différente : les premiers y voient une manière de mettre fin à l’ingérence de l’Église, les seconds une opportunité d’apostolat[iii]. Pour éviter une guerre scolaire quasi permanente, des compromis sont régulièrement trouvés entre les partis politiques, tout au long du XIXe siècle, jusqu’au Pacte scolaire de 1958 non sans de nombreux soubresauts. Et encore aujourd’hui, ce conflit fait toujours la Une des médias. Le dernier exemple est le recours, à la Cour constitutionnelle, du Secrétariat général de l’Enseignement catholique contre la mise en place du nouveau pouvoir organisateur de l’enseignement officiel, Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) en 2020.
Dans la Belgique née au milieu du XIXe siècle, le suffrage est uniquement masculin et censitaire, ce qui sous-entend que seuls ceux qui payent un certain montant d’impôts ont le droit de vote. Aux niveaux communal et provincial, le cens est abaissé à deux reprises, en 1848 et en 1871, ce qui permet d’augmenter le nombre d’électeurs. Par exemple, suite à la réforme de 1848, le corps électoral de la Province de Liège passe de 4 683 à 8 139 électeurs. Ces derniers ne représentent néanmoins qu’un électeur pour 55 habitants[iv].
En 1883, au niveau communal, on élargit le droit de vote aux « capacitaires » : ceux qui possèdent un certain diplôme ou occupent certaines fonctions ont le droit de vote. Mais il faut attendre 1893 pour voir l’arrivée du suffrage universel masculin, certes tempéré par le vote plural (jusqu’à trois voix par électeur). Néanmoins, un certain recul de la démocratie se fait ressentir en 1895 avec la loi dite des « quatre infamies » qui permet de cumuler jusqu’à quatre voix. Enfin, en 1919, le suffrage universel masculin pur et simple est mis en place pour l’ensemble des élections. L’année suivante, le droit de vote est accordé aux femmes, mais pour les élections communales seulement. En 1921, lors des premières élections communales suivant les réformes, alors que les femmes représentent 51% du corps électoral, les femmes conseillères communales ne représentent même pas 1% des mandataires[v]. A Chênée, une femme au moins intègre ainsi le conseil communal[vi]. Mais qu’en est-il de la situation politique à Chênée depuis la fin du XIXe siècle ?
Doc. 1 : Chênée, vers 1850.[vii]
L’ensemble des archives de l’ancienne commune de Chênée sont conservées par la Ville de Liège qui a absorbé cette entité en janvier 1977. Dans l’attente d’un dépouillement systématique de celles-ci[viii], quelques informations sont déjà disponibles sur les responsables politiques de Chênée. Dans les années 1860, il apparaît que le parti libéral est aux commandes. Il est sans doute utile de rappeler que, jusqu’aux années 1960, les Libéraux se considéraient de « gauche » (avec les socialistes, une fois constitués en parti) par opposition à la droite catholique[ix]. Le bourgmestre de l’époque, Hippolyte Cornet[x], va créer deux écoles communales dans le centre de Chênée durant ses deux mandats non successifs[xi].
Doc. 2 : L’école communale des garçons vers 1900, rue Bourdon.[xii]
Doc. 3 : L’Athénée Royal de Chênée, en 2020, rue Bourdon.
Tout d’abord, en 1862, une rue est ouverte grâce au don de terrains d’un certain Monsieur Bourdon, ancien directeur d’une verrerie située rue de l’Église[xiii]. La même année, le conseil communal décide d’ouvrir une école communale pour garçons dans cette nouvelle artère baptisée rue Bourdon en 1865. Cette école primaire compte déjà 230 élèves en 1863.
Doc. 4 : L’école communale des filles, vers 1900, à droite la rue H. Cornet.
Doc. 5 : Plus de cent ans plus tard, le toit en pointe de la maison rue H. Cornet servant de repère.
Ensuite, une école communale pour filles voit le jour face à l’église du centre de Chênée, sur l’actuel terrain de basket de l’Athénée, en 1877. Cette école est située dans la ruelle Dejaer, ouverte en 1876, renommée rue de l’Enseignement, à une date inconnue, avant d’être définitivement rebaptisée rue Hippolyte Cornet en 1978, après la fusion des communes[xiv].
Ces deux bâtiments communaux joueront un rôle essentiel dans l’histoire de l’Athénée, car ils abriteront les élèves durant les premières années, dans l’attente de constructions neuves, puis seront conservés jusqu’aux années 1960 vu la surpopulation de l’établissement. Le site actuel de l’ARC est donc dédié à l’enseignement officiel depuis près de 160 ans.
Dans les années 1880, au niveau national, les catholiques bloquent le développement des écoles secondaires officielles. En effet, la loi du 20 septembre 1884 limite le nombre d’athénées à 19 pour l’ensemble du pays[xv]. Ce chiffre est atteint au tournant du XXe siècle[xvi]. Pour contourner cette loi, au début des années 1920, les ministres laïques éludent ces dispositions en créant des sections d’athénées adossées aux écoles moyennes.
Le premier quart du XXe siècle apporte son lot de progrès du point vue de l’enseignement public. En 1914, une loi instaure l’obligation scolaire de 6 à 14 ans. En 1924 est instauré le cours de morale non confessionnelle dans l’enseignement secondaire officiel pour les élèves dispensés de religion catholique[xvii]. Le socialiste Camille Huysmans[xviii], en charge de l’enseignement entre 1925 et 1927, prend une série de mesures, qui ont pour conséquence d’augmenter considérablement le nombre d’élèves de l’officiel, dont l’homogénéisation du minerval des écoles de l’État associée à des réductions et exonérations de paiement[xix]. Dans l’enseignement secondaire officiel, le nombre d’élèves passe de 48 374 en 1930 à 83 093 en 1937[xx]. Dans les années trente, face aux répercussions de la crise de 1929, les problèmes d’emplois incitent les parents à confier leurs enfants plus longtemps au système scolaire. Sous forme de prêts ou de bourses, certains élèves méritants de la classe ouvrière peuvent poursuivre leurs études, toutefois sans risquer « de perturber l’ordre social [xxi]».
A partir de 1932, un ministre s’occupe désormais à part entière de l’enseignement, on le nomme « Ministre de l’Instruction publique ». Cette appellation perdurera jusqu’en 1961 pour laisser place à « l’Éducation nationale » avant d’être encore modifiée par la suite. Grâce aux efforts d’un ministre libéral, Victor Maistriau[xxii], la loi du 12 juillet 1934 fait « sauter le plafond[xxiii]» du nombre limité d’athénées et d’écoles moyennes[xxiv]. Le gouvernement peut décider en fonction des besoins de créer des écoles publiques. Néanmoins, une loi de 1850 empêche toujours le développement de l’enseignement officiel, car elle précise que ce sont les communes qui doivent offrir les bâtiments et payer une partie des frais d’entretien[xxv]. Ces dépenses rebutent certaines communes ou bien encore certains édiles communaux catholiques utilisent l’argument du coût élevé pour éviter la création d’une école secondaire publique dans leur entité.
Une solution est trouvée et portée par le sénateur libéral flamand Arthur Vanderpoorten[xxvi]. Il dépose au Parlement une proposition de loi, adoptée en mai-juin 1937, dans laquelle l’État reprend à sa charge les infrastructures de l’enseignement moyen[xxvii] : « cette loi met à charge de l’État toutes les dépenses pour la construction, l’achat et l’entretien des locaux et du matériel des Athénés (sic) Royaux et des Écoles Moyennes de l’État. Elle imposait en même temps au Gouvernement l’obligation de prendre incessamment les mesures nécessaires pour que les établissements d’enseignement public, tant au point de vue de leur nombre que de leur organisation, satisfassent aux exigences d’un enseignement bien conçu[xxviii] ».
Par faute de moyens financiers alloués, le développement des écoles secondaires publiques se fait désirer, ce qui irritera les partis laïques alors que le nombre d’élèves est croissant. L’invasion de mai 1940 mettra fin provisoirement à toutes ces préoccupations. Néanmoins, notre école fait peut-être figure d’exception, car l’ancienne aile fut bâtie, en partie, durant la Deuxième Guerre mondiale.
Sans minimiser le rôle de certaines personnalités dans la genèse de notre école, il faut reconnaître que le contexte politique national et communal ainsi que les lois sur l’enseignement, dans l’entre-deux-guerres, aident à comprendre la chronologie de la fondation de l’Athénée de Chênée en septembre 1937, sous le règne du jeune roi Léopold III, et dans un climat international déjà bien sombre.
Doc. 6 : L’école communale des filles, entre 1877 et 1893 (ouverture de la rue du Presbytère).
Chronologie de l’histoire de l’Athénée Royal de Chênée
1862 : Création de l’école communale des garçons, rue Bourdon.
1877 : Création de l’école communale des filles, act. rue H. Cornet.
1934 : Loi mettant fin à la limitation du nombre d’athénées en Belgique.
1937 (mai-juin) : Loi permettant à l’État de reprendre à sa charge les bâtiments des athénées.
1937 (septembre) : Création de l’Athénée Royal de Chênée. Occupation de l’Hôtel de ville.
(à suivre)
[i] L. Bailly, 1937-1987. L’Athénée royal de Chênée a 50 ans. Éléments d’un historique, Liège, s.d. (1987), 48 p.
[ii] Nos remerciements vont à nos collègues, C. Brauns, M.-H. Dossogne et M. Vertez ainsi qu’à M.-Th. Lambotte, professeure honoraire de l’ARC qui enseigna le français à partir de 1959, pour leurs conseils et la relecture de ce chapitre.
[iii] P. Wynants, M. Paret, « École et clivages aux XIXe et XXe siècles » in D. Grootaers (dir.), Histoire de l’enseignement en Belgique, CRISP, Bruxelles, 1998, p. 21.
[iv] Mémorial de la Province de Liège. 1836-1986, Liège, 1987, p. 19.
[v] C. Jacques, C. Marissal, « L’apprentissage de la citoyenneté au féminin. Les élections communales dans l’agglomération bruxelloise. 1921-1938 » in Cahiers d’Histoire du Temps présent, n° 4, 1998, p. 108.
[vi] L. Musin, 1885-1985. Histoire des fédérations. Liège, Bruxelles, 1985, p. 109.
[vii] Toutes les cartes postales ont été acquises dans le cadre de cet historique et versées aux archives de l’ARC.
[viii] La pandémie actuelle permet difficilement l’accès aux différents centres d’archives.
[ix] J. Stengers, « L’origine de la droite et de la gauche dans la vie politique belge au XIXe siècle » in Revue belge de philologie et d’histoire, t. 82, 2004, p. 290.
[x] Conseiller communal de Chênée en 1857, échevin en 1858, bourgmestre de 1861 à 1867 puis de 1876 à 1879, né en 1827 et décédé en 1901, conseiller provincial de 1868 à 1896, député permanent de 1879 à 1894 dans un gouvernement provincial homogène libéral. Il faut attendre l’année 1894 pour voir intégrer un député permanent socialiste suite à l’instauration du suffrage universel masculin tempéré par le vote plural. (Mémorial de la Province de Liège, p. 126-127, 136, 179.)
[xi] Une troisième, l’école des Grands Prés, est créée en 1879. Chênée comptait donc , à cette époque, trois écoles primaires communales. (F. Michel, Chênée en cartes postales anciennes, s.l, 1974, p. 31.)
[xii] Toutes les cartes postales ont été acquises dans le cadre de cet historique et versées aux archives de l’ARC.
[xiii] M. Focan, Nos rues, Cahiers d’histoire de Chênée, n° 1, Chênée, 1988, p. 14.
[xiv] Idem, p. 30.
[xv] P. Wynants, M. Paret, « École et clivages aux XIXe et XXe siècles, p. 27, 30.
[xvi] F. Joris, L’Athénée de Verviers et ses devanciers. Deux siècles d’histoire. 1807-2007, Verviers, 2007, p. 129.
[xvii] P. Wynants, M. Paret, « École et clivages aux XIXe et XXe siècles, p. 34.
[xviii] Bourgmestre d’Anvers, Camille Huysmans (1871-1968) était aussi député de cet arrondissement de 1919 à 1965. Ministre des Sciences et des Arts (1925-1927), il est en charge de l’éducation. Après la deuxième guerre, il occupe à nouveau la fonction de ministre de l’Instruction publique. (Y.-W. Delzenne, J. Houyoux (dir.), Le nouveau dictionnaire des Belges, Bruxelles, 1998, p. 305.)
[xix] F. Joris, L’Athénée de Verviers et ses devanciers, p. 129.
[xx] Chiffres peu fiables d’après F. Simon, « Éducation et enseignement : La « pédagogisation » des masses » in La séduction des masses. Les années 30 en Belgique, Bruxelles, 1994, p. 190.
[xxi] F. Simon, « Éducation et enseignement : La « pédagogisation » des masses », p. 190.
[xxii] Docteur en droit de l’Université de Gand, Maistriau (1870-1962) est homme politique libéral. Il a été bourgmestre de Mons de 1926 à 1954. Il fut brièvement ministre à deux reprises : Instruction publique (juin-novembre 1934) et Justice (juillet novembre 1937). (P. Delforge, « Victor Maistriau » in P. Delforge, P. Destatte, M. Libon, Encyclopédie du Mouvement wallon, Namur, 2000, p. 1064.)
[xxiii] P. Wynants, M. Paret, « École et clivages aux XIXe et XXe siècles », p. 35.
[xxiv] J. Tyssens, « L’enseignement moyen jusqu’au Pacte scolaire : structuration, expansion, conflits » in D. Grootaers (dir.), Histoire de l’enseignement en Belgique, CRISP, Bruxelles, 1998, p. 237.
[xxv] J. Tyssens, « L’enseignement moyen jusqu’au Pacte scolaire : structuration, expansion, conflits », p. 226.
[xxvi] Sénateur libéral d’Anvers puis de Malines, Vanderpoorten (1884-1945) a été ministre des Travaux publics de 1939 à 1940 puis de l’Intérieur en 1940. Réfugié en France, au début de la guerre, il est arrêté par les nazis et envoyés dans le camp de Bergen-Beslen où il meurt en 1945. Il est le grand-père de l’homme politique libéral flamand Patrick Dewael. Un des sites de l’Athénée de Lier (province d’Anvers) porte son nom. (Le nouveau dictionnaire des Belges, p. 285.)
[xxvii] J. Tyssens, « L’enseignement moyen jusqu’au Pacte scolaire : structuration, expansion, conflits », p. 238.
[xxviii] Cité dans le Projet de loi du 5 mars 1947, à la Chambre des Représentants.
Voir https://www.dekamer.be/digidoc/OCR/K3127/K31271411/K31271411.PDF consulté le 23 septembre 2020.